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La Recherche & Développement, ou comment redonner du sens au vivre ensemble 

Entretien avec Renaud Seligmann, co-fondateur et PDG du Social Bar

Dans cet entretien, Renaud Seligmann, co-fondateur et PDG du Social Bar, revient sur l’aventure R&D. Des prémices aux futures perspectives, découvrez ce qui motive un entrepreneur à mobiliser les sciences humaines et sociales dans sa démarche.

Peux-tu nous rappeler brièvement l’histoire du Social Bar ? Comment en êtes-vous arrivé à proposer une démarche R&D ?

Renaud : Quand nous avons lancé le Social Bar, en 2016, nous avons procédé de manière totalement empirique. L’intuition de départ était simple : les gens ont envie de se rencontrer, de se retrouver, de créer du lien mais il y a des choses qui les bloquent. Le lien ne se tisse pas naturellement. Comment faire pour lever ces barrières ?

Nous étions persuadés qu’il y avait une manière d’y parvenir. Nous avions quelques idées en tête quand nous avons démarré, que nous pouvons aujourd’hui identifier comme des nudges (ndlr : notion issue de l’économie comportementale, qui peut se traduire par « coup de pouce » ; il s’agit d’une incitation douce, individuelle ou collective, à transformer des comportements) comme le « Social dé ».

On a inventé quelque chose dont on ne savait même pas ce que c’était au démarrage puisque l’intention initiale était de s’amuser. On s’est évidemment aperçu en le faisant que ça avait des implications et un impact qui allaient bien au-delà. De faire passer un bon moment à des personnes, on est allé vers tisser du lien social qui est une démarche plus durable puis à ce qui est maintenant un des cœurs de notre activité, créer une compétence en redonnant goût à l’exercice d’un métier.  Et cela, bien au-delà de nos bars puisque nous collaborons aujourd’hui avec des Ehpad, des hypermarchés, des gares, etc. On voit bien se dessiner une ramification qui nécessite absolument que l’on comprenne ce que l’on fait ; et pour cela on a besoin de chercheurs en SHS (Sciences Humaines et Sociales), d’aller puiser dans l’état de l’art, les connaissances et les protocoles de recherche pour pouvoir mettre un peu de théorie et d’hypothèses sur l’empirisme qui est le nôtre.

Ce qui est compliqué c’est de briser la glace la première fois. Un fois cette étape franchie, c’est beaucoup plus facile.

Etait-ce une volonté d’apporter une caution scientifique à la démarche ?

Renaud : Exactement. Pour comprendre ce qui se passe de manière scientifique, il nous fallait un cadre. C’est là qu’on a eu l’idée de créer ce pôle de Recherche et Développement. David (ndlr Rivoire, co-fondateur du SB) l’avait déjà fait aux 2 Rives, il avait vu l’impact de la R&D.

Il y a un autre point de départ qui est lié au statut d’Esus du Social Bar, celui de l’impact et de la mesure de l’impact. C’est quelque chose qui fait de plus en plus de bruit mais il y a pour nous un risque d’une petite dérive car cela reste très court-termiste et très quantitatif. Nous avons une vraie croyance – et c’est comme cela que nous le faisons  au Hameau – c’est qu’un des rôles des Esus est de pouvoir insuffler une transformation sectorielle. Pour cela il faut absolument avoir une vision moyen/long terme qui nécessite de la recherche et développement pour anticiper cette évolution et lever un peu le nez du guidon de cet impact trop court terme.

Recherche et Développement riment donc avec innovation ?

Renaud : oui ! D’abord parce que nous avons eu la confirmation que notre terrain, celui de la convivialité et des liens sociaux, était un vrai champ de recherche qui n’avait jamais été investigué. Il cochait tous les critères attendus par le label Jeune Entreprise Innovante (JEI) que nous avons obtenu en 2020. Ce label est par ailleurs très peu développé dans l’innovation sociale ce qui est très dommageable quand on voit que c’est possible et ce que cela apporte (ndrl comme le travail mené par l’agence Ether). Il y a d’ailleurs de plus en plus d’acteurs qui commencent à réfléchir sur de nouveaux indicateurs du lien social avec lesquels nous essayons de collaborer comme le Laboratoire de la Fraternité, la Fabrique du Nous, la République des Hyper Voisins, etc.

Pour nous en interne, même si cela n’était pas l’objectif de départ, on s’est rendu compte que cela apportait une forme de crédibilité. Car lorsque l’on propose des chifoumis géants à des entreprises peut-être que leur première intuition c’est que l’on est des gens sympas et très drôles mais pas forcément sérieux. Et quand ils voient que l’on a un pôle R&D, que l’on est une JEI, tout de suite cela change leur regard. Et cela ouvre la voie à des réflexions communes.

Quand on parle innovation et R&D, l’écosystème de la recherche entend beaucoup innovation technologique, informatique, industrielle. Il y a très peu de place pour les SHS. Un des points de notre pôle R&D c’est aussi de démontrer que l’innovation sociale est fondamentale.

Ajoutons aussi que l’innovation s’inscrit dans la démarche fédératrice de notre pôle. Faire se rencontrer les acteurs de l’innovation sociale, du lien, etc. autour d’événements comme notre CAHCHA, Colloque à haute chaleur humaine ajoutée. Nous ne sommes pas les seuls à porter ces sujets comme déjà évoqué. C’est aussi un de nos rêves que de fédérer un réseau d’acteurs qui recherchent la même chose que nous.

Les sujets de réflexions de la R&D ?

Renaud : Très vite on a vu se dessiner trois axes de réflexion.

La première réflexion c’est de vérifier que le Social Bar a une réelle action sur la convivialité. C’est notre raison d’être, donc nous voulons mesurer notre impact sur la convivialité et sur les liens faibles. Aujourd’hui il n’existe pas d’indicateur de convivialité – ni dans des bars ni dans des entreprises. Comment les interactions peu engageantes peuvent être une condition à la création de liens plus profonds ? Qu’apportent aux gens ces petites interactions ? Est-ce qu’elles redonnent confiance en l’Autre ? Est-ce qu’elles apportent un peu de bien-être ? Un petit moment de plaisir ?

La deuxième réflexion est de comprendre concrètement ce qui fait que des gens s’engagent dans une interaction ou ne s’engagent pas. Parce que l’on teste plein de choses, on a plein de recettes, mais on ne sait pas exactement à l’intérieur de cette recette quels sont les ingrédients qui marchent. Est-ce le fait de dire à quelqu’un lorsqu’il arrive qu’il a le droit de parler à des inconnus ? Est-ce la présence des brise-glaces tout au long de la soirée ou le fait qu’il y ait un chifoumi géant ?

Le troisième champ de recherche interroge le métier d’agent de convivialité et sa formation. Quand on a commencé on ne savait pas quelles étaient les compétences nécessaires pour être agent, celles qui s’apprennent ou non, ni même le type de compétences que cela développait. Notre ambition ce n’est pas de limiter les agents de convivialité à nos bars, mais bel et bien d’en faire un métier à part entière.

L’espoir derrière cela est que les enseignements pour le Social Bar soient des enseignements partagés. Il y a aussi un objectif d’open sourcer tout ce que l’on apprend pour quiconque voudra en faire bon usage. Par exemple, la réflexion sur nos dispositifs de convivialité s’intéresse entre autres à la notion d’engagement.

Si l’on trouve des recettes pour que les gens s’engagent à interagir avec d’autres cela peut être utilisé dans plein de contextes différents de manière très vertueuse (dans le domaine de la solidarité par exemple).

Comment le pôle R&D s’intègre concrètement dans la vie de l’entreprise ?

On avait envie que ce pôle R&D ne soit pas isolé dans l’entreprise. Ce qui peut arriver malheureusement. On a donc fait en sorte que nos chercheurs ne soient pas dans une tour d’ivoire et que cela puisse infuser au quotidien et que ça nous serve au quotidien. Ils sont par exemple impliqués dans le développement de l’offre de formation de notre Ecole de la convivialité, participent à la vie de chaque pôle.

La R&D permet de s’adresser à des chercheurs qui apportent un regard extérieur. Nous sommes très portés sur la recherche action ; ce qui est intéressant c’est l’aller-retour permanent entre le terrain, la vision stratégique des dirigeants et les chercheurs. Cette forme de rotation est extrêmement riche. L’ensemble des équipes du Social Bar sont impliquées dans la démarche R&D, de différentes manières : elles font remonter des données, les problèmes auxquels ils sont confrontés et que la R&D peut aider à résoudre, elles apportent leur regard d’experts sur certains sujets. Bref c’est un travail collaboratif qui nécessite de construire des outils et des modalités de fonctionnement communs.

Quels sont les objectifs R&D pour cette année ?

Nous avons pour objectif cette année de créer une vraie culture de la convivialité en entreprise car il est clair que c’est un facteur d’engagement. Pour cela il est nécessaire de créer des indicateurs spécifiques. Aucun indicateur de convivialité en entreprise n’existe par exemple, ni même de l’impact de cette convivialité et pourtant pour beaucoup de sociétés la convivialité est devenue une valeur clé.

Si l’on veut faire un réel travail de plaidoyer, de conviction auprès des acteurs publics, auprès des grandes entreprises, bref de tous ceux qui sont en capacité d’engager un changement systémique, on est obligé de leur prouver l’impact de la convivialité. Et pour cela il faut des indicateurs adaptés, pertinents et scientifiquement éprouvés. C’est aussi cela l’intérêt de notre pôle R&D : convaincre des acteurs qui temps qu’ils n’auront pas des chiffres devant les yeux ne se décideront pas à agir.

On entend de plus en plus de penseurs du futur nous alerter sur le fait que l’on va vers un monde avec de moins en moins de ressources, beaucoup disent que ce n’est pas ça le plus grave, le plus grave c’est d’aller vers ce monde-là avec des attitudes très individualistes et que c’est cela qui va créer des difficultés. Le lien social qui se distend, qui disparait. Comment redonner du sens au vivre ensemble ? C’est sans doute l’objectif numéro un de notre pôle R&D.

Pauline Vessely
Sociologue
Responsable du pôle R&D