La Recherche & Développement au Social Bar ou comment réinventer les outils méthodologiques
La R&D, c’est quoi ?
Commençons par le commencement : « R&D » ça vient de « Recherche et Développement ». La R&D est au cœur de nombreux dispositifs institutionnels et de financement ; elle fait donc l’objet de nombreux cadrages. Le socle de référence internationale de la R&D, c’est le Manuel de Frascati. Ce dernier nous vient tout droit de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) ; il fixe les 5 critères de base de la R&D, à savoir :
- la nouveauté
- la créativité
- l’incertitude
- la systématisation
- la transférabilité et/ou reproductibilité.
L’Insee synthétise les travaux de définition d’une démarche R&D de la manière suivante :
« La recherche et le développement expérimental (R&D) englobent les activités créatives et systématiques entreprises en vue d’accroître la somme des connaissances et de concevoir de nouvelles applications à partir des connaissances disponibles. Elle englobe la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental. »
Autrement dit, faire de la R&D c’est appliquer des outils scientifiques au sein de l’activité socio-économique d’une entreprise.
La R&D sociale
Si la R&D est courante dans le secteur des nouvelles technologiques, le développement d’une démarche de R&D en Sciences Humaines et Sociale (SHS) est quant à lui beaucoup plus rare. Toutefois quelques structures comme l’AVISE ou le portail de la Recherche et Développement sociale participent à la structuration de la R&D en SHS.
Il est désormais accepté que :
- La R&D ne se résume pas seulement à une visée technique ou technologique, mais qu’elle peut aboutir à des services, des modèles d’organisation, des politiques publiques, des modèles économiques qui ne sont pas réductibles à un produit ou un outil;
- La R&D embrasse l’ensemble des disciplines scientifiques, et notamment les sciences humaines et sociales, qui interrogent les questions de société.
La R&D au Social Bar
Et bien au Social Bar on fait comme ailleurs : on cherche et on développe !
Nous appliquons les outils théoriques et méthodologiques principalement de la sociologie et de la psychologie sociale – pour le moment – pour récolter des données, les analyser et comprendre ce qui se joue dans nos actions. Pour cela, il faut commencer par mettre en place une stratégie car une donnée en soi n’a pas vraiment de sens ; c’est le processus qui la construit et qui en fait un élément pertinent. Comment créer de la donnée qui a du sens ? A quoi la compare-t-on ? Comment la met-on en perspective ? Dans notre cas, 2 constats :
1/ nous manquons de données références sur le terrain des bars notamment.
2/ il faut construire des outils adaptés au terrain, être inventif même dans l’approche scientifique.
Si l’inventivité est un maître mot de l’entreprenariat social, il nous semble essentiel d’en faire de même dans l’approche scientifique.
Enquête de terrain
Pour adapter le protocole au contexte de « soirée » ainsi qu’aux spécificités du Social Bar, nous avons créé un dispositif relevant de la recherche action ; il s’inscrit dans l’ensemble des dispositifs du SB pour se « fondre dans la soirée ». Le temps de l’entretien devient donc partie prenante des « activateurs de convivialité ». C’est le cas du Social Tarot par Mme Presque Irma.
Il s’agit ici d’une scénarisation de la relation d’entretien : créer un scénario permettant de tisser un lien discursif sur l’expérience vécue tout en participant aux activateurs de convivialité.
Ce format permet une relation face à face. Un jeu de carte mettant en scène la vie sociale, le Social Tarot, sert de support de discussion sur les notions de convivialité et de lien social. Il nous amènera à obtenir des éléments discursifs sur le déroulé de la soirée, son ambiance, les motivations et attentes du public, sa perception de sa sociabilité, de la société, etc. C’est également une première approche qui s’intègre aux dispositifs et modalités des bars et événements qui permet de prendre contact et planifier par la suite des entretiens discursifs plus longs, en face à face, dans un cadre traditionnel.
Le jeu de cartes comme outils d’enquête : petit rappel historique
L’utilisation du jeu de cartes comme outil d’enquête sociologique a été testée par Luc Boltanski et Laurent Thévenot dans les années 1980 pour construire une « axinomie socioprofessionnelle », c’est à dire concevoir un outil/un système de classification socioprofessionnelle. D’autres chercheurs ont plus récemment réutilisé ce procédé pour interroger les nomenclatures socioprofessionnelles au niveau européen (Deauvieau, Penissat, Brousse et Jayet ; 2014). Camille de Bovis-Vlahovic et Charlotte Dressayre (2015) soulignent l’intérêt du jeu de cartes comme outil méthodologique : « Le fait d’utiliser un jeu de cartes recèle plusieurs avantages. Ce protocole met moins en jeu le classement hiérarchique, qui rappelle la forme « palmarès » ou « échelle », que des formes de regroupement qui peuvent être ou non hiérarchisées. Un jeu de cartes va de pair avec un classement pratique plutôt qu’un raisonnement théorique (Deauvieau et al., 2014). ». En gros, le jeu de cartes est un dispositif ludique qui permet de désinhiber les enquêté·es, de créer une relation plus conviviale dans les entretiens. C’est donc une bonne manière d’aborder les sujets qui sont les nôtres !
Pauline Vessely
Sociologue
Responsable du pôle R&D